Histoire et archéologie

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Mines des Corbières, Introduction

Mines des Corbières


«Une beauté sauvage, une nature préservée...»


Telles sont les Corbières vantées par les dépliants touristiques. Beau, ce petit massif l’est, à  n’en pas douter. Sauvage et préservé, cela est beaucoup moins sûr. Les paysages des Corbières tels que nous les observons actuellement sont récents. Dans les Basses  Corbières, ils témoignent de l’extension importante du vignoble à partir de la fin du XIXe siècle.  Dans les Hautes Corbières, en revanche, ils sont la conséquence du lent dépeuplement du massif dans  le courant du XXe siècle, qui faillit faire des Corbières un désert. Les terroirs abandonnés par  les habitants ont alors été peu à peu reconquis par la matte et la forêt. Avant la Seconde Guerre Mondiale, les Corbières présentaient un aspect très différent. Les arbres  étaient rares, les prairies et les champs nombreux, et les villages populeux. Plutôt que de nature  préservée et de beauté sauvage, peut- être faudrait-il donc parler, en particulier à propos des Hautes Corbières, d’une vaste friche agro-pastorale et artisanale…

Depuis le Néolithique, il y a plus de 5000 ans, l’évolution des paysages des Corbières est  intimement liée aux rythmes de la démographie et des activités humaines. Il y a eu, depuis cette  époque, des phases de pression anthropique faible ou modérée sur le milieu naturel, qui ont  favorisé le maintien ou la régénérescence des espaces forestiers. C’est la situation que  nous connaissons  aujourd’hui. D’autres périodes, notamment les XVIIIe et XIXe siècles, ont été marquées  par une déforestation importante et une exploitation intensive des terroirs, qui a entraîné une  ouverture du milieu. L’agriculture et l’élevage ont joué un rôle important dans ce processus, mais  les activités artisanales et industrielles fondées sur l’exploitation des ressources naturelles ont  eu aussi leur part, notamment les activités minières.En effet, il est probablement difficile de l’imaginer aujourd’hui, mais le massif des Corbières a un long passé minier. Celui-ci plonge  très loin ses racines, dans l’Antiquité et probablement au-delà.


Le plateau de Lacamp, entre Villerouge-Termenès et Palairac fut la principale zone minière des  Corbières jusqu’au début du XXe siècle (P.B.)

Ces siècles cumulés d’activité sont faits de fragments de vies minuscules, celles des mineurs, des métallurgistes, des charbonniers et des muletiers, qui ont ouvert des mines, charbonné des forêts,  traité les minerais, transporté les produits de ces traitements, dans l’espoir sinon de s’enrichir,  du moins d’améliorer leur quotidien. Nous ne savons pas grand- chose de cette foule d’anonymes, si  ce n’est les traces qu’ils laissèrent après leur départ.

Descenderie de Las Corbos à Maisons (A.F./O.C.)

Ces traces sont encore bien visibles dans le paysage pour qui prend le temps d’observer.  Très   souvent,  une  simple tranchée de quelques mètres de longueur à demi comblée est l’unique  témoignage d’une recherche de minerai restée sans lendemain et désormais oubliée. Dans certains  secteurs, en revanche, le terrain est littéralement constellé d’excavations de formes et de tailles  très diverses, d’anciens fours à demi ruinés et de restes de bâtiments effondrés, reliés par  de vieux  chemins  qui  servaient autrefois à transporter le minerai et devenus aujourd’hui de simples  sentiers. Ces  espaces  peuvent  s’apparenter  à de véritables friches industrielles, où le paysage a été façonné par les activités minières et métallurgiques passées. On en trouve la trace  encore aujourd’hui dans la toponymie. Nombreux dans les Corbières sont les noms de lieux tels que  la Farga, la Ferrière, la Mena ou le Caraillet. Issus essentiellement de la langue d’oc et toujours en usage, ils rappellent la présence de mines ou d’anciennes forges, vieilles parfois de plus de 2000 ans.

La mine de la Caune des Causses à Palairac(PB)

Ces activités ont aussi marqué la mémoire des habitants du massif. Mémoire récente, alimentée par  les récits de proches qui furent mineurs ou manoeuvres ou par le souvenir d’un ballet de camions  transportant le minerai sur les routes des Corbières. Mémoire plus ancienne, déformée par le temps  et tenant parfois de la légende. Ainsi, à Palairac, la mémoire orale rapporte que Louis XIV,  traversant les Corbières pour faire la guerre en Espagne, aurait été accueilli à Palairac avec ses  troupes. Il se serait alors rendu jusqu’à la mine de La Canal, sur la colline de Peyrecouverte, et  aurait jeté quelques pièces d’or dans un puits au fond de la galerie qui s’ouvre encore aujourd’hui  au pied de la colline.
Non loin de là, à Maisons, une autre légende rappelle que la mine de Sainte- Marie aurait fourni l’argent de la vaisselle de Louis XIV,  encore lui. Etonnants au premier abord, ces deux récits reposent probablement sur des faits  historiques. En effet, plusieurs compagnies minières sont intervenues sur les gisements d’argent de  Maisons et Palairac aux XVIIe et XVIIIe siècles, dont une, précisément, était une création de  Colbert, ministre de Louis XIV. Les habitants en ont probablement conservé le souvenir et se le sont transmis oralement, en le  transformant, par petites touches, de génération en génération.

Le passé minier des Corbières est donc fait d’une somme de fragments, matériels et immatériels,  qu’il s’agit d’assembler, patiemment. C’est l’objet de ce livre. Le but est de tenter de restituer l’histoire des mines des Corbières, d’en éclairer certaines facettes, des techniques minières au commerce du métal, de l’impact de cette  activité sur les paysages au rôle joué par les habitants du massif. Tenter, car le récit qui va  suivre reste très incomplet. D’autres fragments restent à trouver, à étudier, à interpréter. Ils permettront  d’enrichir le passé minier des Corbières, voire de réviser certains des points présentés dans les  pages qui suivent. Toutefois, des pans entiers de l’histoire des mines des Corbières resteront à jamais  inconnus, définitivement disparu. Ce qui a le mérite de laisser une place à l'imaginaire.